L’artiste de
la Semaine : Clara Walch
Le
parcours d’une écho-centrique
A 22 ans, la
jeune aixoise peut se targuer d’être la peintre la plus aimée des
musiciens. Dans son premier court-métrage qui sort ce mardi, elle
réussit à mêler à la fois formalisme abstrait et cinéma
expressionniste. Rencontre haute en couleur avec une touche-à-tout
géniale.
« Vous
avez attendu longtemps ? Pardonnez-moi, j’étais en cours »
A peine attablés au café aixois où elle nous donne rendez-vous,
nous la voyons courir depuis l’autre côté de la rue, ponctuelle
et adorablement essoufflée. Et comme si ce n’était encore pas
assez, elle ajoute un « je suis vraiment désolée » Avec
l’air de s’excuser d’être là, le 1 mètre 72 (« la
moyenne de la taille de l’Homme », comme elle se plaît à
souligner)et les boucles abondantes de Clara Walch n’ont pourtant
pas vocation à se fondre dans le décor. Et pour cause, son film
emballe les critiques les plus exigeants comme le grand public, et
figure sur la sélection très select de Cannes dans la catégorie
des courts. Si ce premier succès est un coup de maître, c’est
dans la peinture que réside l’âme de celle qui est encore
étudiante en Arts Plastiques.
Les
origines d’un vilain petit canard
Clara
Walch, c’est d’abord l’histoire d’une ascension fulgurante
dans le milieu de la création contemporaine. Remarquées pour ses
couleurs vives au Salon Sm’Art 2014, les toiles de la jeune peintre
sont presque toutes de dimensions gigantesques, frôlant parfois la
démesure avec Immersion, sa pièce maîtresse, qui s’étale
sur 6 mètres de long afin de permettre au spectateur, dit-elle, d’
« être immergé par la taille ». « J’aurais bien
ajouté encore quelques mètres, mais il faut parfois savoir
s’arrêter», souligne en souriant l’étudiante précoce. Ses
tableaux ne supportent pas moins de 21 couches de peinture acrylique.
« L’idée derrière cette folie des grandeurs, c’était
d’entrer dans une autre dimension de soi, explique-t-elle. Il faut
faire le vide et se retrouver face à soi et son imaginaire. »
Derrière
cette déclaration qu’elle énonce avec une voix incertaine en
donnant l’impression de peser chaque mot, on devine une soif
d’absolu qui vient de loin. « J’ai toujours eu
l’impression de manquer de quelque chose et de devoir
m’affirmer», raconte-t-elle. Troisième enfant d’une fratrie
qui en compte cinq, elle est la seule à ne pas avoir les yeux bleus
et les cheveux blonds. En résulte une farouche détermination à
chercher sa place et à trouver la juste couleur. Alors que les murs
de la maison familiale n’acceptent que d’austères reproductions
de paysages champêtres en eau forte, Clara surprend tout le monde
lorsque, à 18 ans, elle exprime son souhait d’étudier la
peinture. Ses parents, banquiers tous les deux, peinent à comprendre
ce qui fait vibrer leur cadette.
Ils
l’auraient plutôt vu derrière les fourneaux, dans le domaine de
la restauration. « Elle passait des matinées entières à
improviser des recettes lorsque nous recevions des invités »,
nous confiait sa mère quelques jours avant l’entretien. Quitte à
« écraser » les autres. « Lorsque je suis aux
fourneaux, je peux me conduire en vrai tyran. Je culpabilise après,
s’empresse-t-elle d’ajouter. Mais sur le coup, réussir le plat
est trop important. » On le devine, pas de demi-mesure pour
celle qui veut tout maîtriser et n’hésite pas à faire sa cuisine
dans ses pentures en rajoutant farine, levure, sel et huile.
De
la musique avant toute chose
L’appel
artistique ne tombe toutefois pas de nulle part. A 8 ans au
conservatoire, elle découvre la clarinette, qu’elle avait choisie
« à cause de sa ressemblance avec son propre nom »,
avoue-t-elle en riant. En à peine deux ans, elle maitrise son
instrument avec une aisance qui étonne son professeur et qui lui
confie bientôt des morceaux qu’il réserve habituellement aux
élèves plus avancés. Mais à 16 ans, c’est le drame : une
mononucléose infectieuse chronique l’empêche de gérer son
souffle de manière satisfaisante, et elle doit arrêter ses cours.
Elle garde cependant la passion de la musique et des notes, qu’elle
réutilise dans son travail de peintre, à la suite de Kandisky
qu’elle révère et qui comme elle disait être « obsédé
par la relation entre la couleur, la matière et le son ». Sa
santé continue à se détériorer et la pousse à se faire
hospitaliser en maison spécialisée pendant plusieurs mois. « J’ai
souffert d’insomnie pendant quatre longues années. C’était très
douloureux. Pour éviter de broyer trop de noir, je peignais la
nuit ». Son goût pour l’art-thérapie se développe. Les
toiles de cette époque marquées par l’isolement et la douleur
font donc office de catalyseurs et de panse-plaie.
Elles
sont pourtant loin d’être sombres et affichent une série de
camaïeux variables selon une thématique chromatique. Clara se
demande peu à peu comment intégrer la musique à sa peinture.
Ayant réintégré le lycée, elle se dévoue corps et âme- mais
sait-elle faire autrement ? pour obtenir son baccalauréat. Ce
qu’elle réalise avec brio – mais sait-elle faire autrement ?
Bac en poche, elle décide tout naturellement de partir étudier dans
la ville du précurseur coloriste Cézanne et s’inscrit en licence
d’Arts Plastiques. De ce pays qui inspire tant d’artistes
étrangers, elle ne retient que la luminosité.
De la musique
haute en couleur
A
l’occasion d’un sujet d’étude, elle explore à 20 ans le
concept d’art total. Travaillant toujours en musique, elle traduit
une phrase de son maître russe en un langage doublement codé :
du morse d’abord, puis par décomposition rythmique, une partition
musicale. De ce processus laborieux naît Diagramme, qui lui
fera accéder à la notoriété. Un collectionneur averti par la
faculté des Sciences de l’Art d’Aix en Provence où étudie la
jeune femme se prend de passion pour cette pièce et l’expose dans
une galerie qu’il possède, et que visite quelques jours plus tard
Rodrigo De Souza. Le chef d’orchestre de l’orchestre symphonique
de New-Yorkais, connu pour sa spontanéité et son amour de
Schoenberg, s’enflamme aussitôt et demande le nom de l’auteur du
tableau qui se regarde en même temps qu’est diffusée la mélodie
dont il est assorti. Celle qui n’est alors qu’étudiante se
retrouve avec une commande de 5 autres œuvres du même gabarit que
De Souza fait jouer à ses musiciens lors du concert du Nouvel An
2016. Le dispositif plaît et est depuis systématisé à la fin des
concerts symphoniques de la Philharmonie de Paris.
« Je
tire de mes blessures quelque chose qui transcende la réalité »
La
lumière des projecteurs l’intéresse bien moins que celle de ses
toiles et qu’elle peut « transmettre aux autres par l’art ».
Elle garde ainsi à l’esprit la maladie qui a accompagné son
adolescence et envisage de s’orienter vers l’Art Thérapie. Une
récupération médicale qu’elle défend avec ardeur : « Il
faut arrêter de rabaisser un art qui peut servir à faire du bien !
L’Art pour l’Art n’existe pas. Je peux aider des personnes
blessées par la vie comme moi en leur montrant que j’en tire
quelque chose qui me dépasse. »
Pour
l’heure, Clara approfondit sa maîtrise des techniques plastiques
en multipliant les projets. L’apprentissage continu passe également
par des heures passées dans tous les musées qui croisent son
chemin. « Chaque son, chaque couleur me renvoient à moi et à
mes toiles », s’extasie-t-elle. Une expérience qu’elle
approfondit à travers un visionnage assidu- « au moins un par
semaine »- des biopics sur les grands peintres. « Je
trouve dans chacun d’eux un peu de moi », confie-t-elle. Son
préféré ? « Celui sur Pollock, parce que je me sens
totalement en phase avec son ardeur et expression plastique
abstraite ! »
Retour
au son
A
l’occasion du concours national organisé en septembre 2017 par le
fabriquant de couleur Pébéo, sa toile Le Sublime remporte le
premier prix face à plus de 1500 concurrents. Afin de répondre à
ce thème si cher à Victor Hugo et ayant peu de goût pour la
lecture, Clara puise l’inspiration dans les aquarelles et autres
esquisses au lavi de l’écrivain. Bien lui a pris puisque celui-ci
lui permet d’être exposée pendant un mois au Musée Pébéo de
Marseille où une partie de son film a été tournée. Dans le
milieu, on parle même de lui confier la confection de
l’arrière-scène de la prochaine création de l’Opéra de Dijon.
« C’est un beau projet, peut-être un peu grand pour moi,
relativise-t-elle, évasive. Il sera question d’explorer le rapport
plastique de l’hologramme avec un colorfield painting à la Russe,
un truc a priori inédit. On verra !» Décidément, Clara
Walch ne peut se fondre dans le décor, elle le crée.
Ophélie Faraud