dimanche 8 octobre 2017

article d'une journaliste culturelle

L’artiste de la Semaine : Clara Walch
Le parcours d’une écho-centrique
A 22 ans, la jeune aixoise peut se targuer d’être la peintre la plus aimée des musiciens. Dans son premier court-métrage qui sort ce mardi, elle réussit à mêler à la fois formalisme abstrait et cinéma expressionniste. Rencontre haute en couleur avec une touche-à-tout géniale.
« Vous avez attendu longtemps ? Pardonnez-moi, j’étais en cours » A peine attablés au café aixois où elle nous donne rendez-vous, nous la voyons courir depuis l’autre côté de la rue, ponctuelle et adorablement essoufflée. Et comme si ce n’était encore pas assez, elle ajoute un « je suis vraiment désolée » Avec l’air de s’excuser d’être là, le 1 mètre 72 (« la moyenne de la taille de l’Homme », comme elle se plaît à souligner)et les boucles abondantes de Clara Walch n’ont pourtant pas vocation à se fondre dans le décor. Et pour cause, son film emballe les critiques les plus exigeants comme le grand public, et figure sur la sélection très select de Cannes dans la catégorie des courts. Si ce premier succès est un coup de maître, c’est dans la peinture que réside l’âme de celle qui est encore étudiante en Arts Plastiques.
Les origines d’un vilain petit canard
Clara Walch, c’est d’abord l’histoire d’une ascension fulgurante dans le milieu de la création contemporaine. Remarquées pour ses couleurs vives au Salon Sm’Art 2014, les toiles de la jeune peintre sont presque toutes de dimensions gigantesques, frôlant parfois la démesure avec Immersion, sa pièce maîtresse, qui s’étale sur 6 mètres de long afin de permettre au spectateur, dit-elle, d’ « être immergé par la taille ». « J’aurais bien ajouté encore quelques mètres, mais il faut parfois savoir s’arrêter», souligne en souriant l’étudiante précoce. Ses tableaux ne supportent pas moins de 21 couches de peinture acrylique. « L’idée derrière cette folie des grandeurs, c’était d’entrer dans une autre dimension de soi, explique-t-elle. Il faut faire le vide et se retrouver face à soi et son imaginaire. »
Derrière cette déclaration qu’elle énonce avec une voix incertaine en donnant l’impression de peser chaque mot, on devine une soif d’absolu qui vient de loin. « J’ai toujours eu l’impression de manquer de quelque chose et de devoir m’affirmer», raconte-t-elle. Troisième enfant d’une fratrie qui en compte cinq, elle est la seule à ne pas avoir les yeux bleus et les cheveux blonds. En résulte une farouche détermination à chercher sa place et à trouver la juste couleur. Alors que les murs de la maison familiale n’acceptent que d’austères reproductions de paysages champêtres en eau forte, Clara surprend tout le monde lorsque, à 18 ans, elle exprime son souhait d’étudier la peinture. Ses parents, banquiers tous les deux, peinent à comprendre ce qui fait vibrer leur cadette.
Ils l’auraient plutôt vu derrière les fourneaux, dans le domaine de la restauration. « Elle passait des matinées entières à improviser des recettes lorsque nous recevions des invités », nous confiait sa mère quelques jours avant l’entretien. Quitte à « écraser » les autres. « Lorsque je suis aux fourneaux, je peux me conduire en vrai tyran. Je culpabilise après, s’empresse-t-elle d’ajouter. Mais sur le coup, réussir le plat est trop important. » On le devine, pas de demi-mesure pour celle qui veut tout maîtriser et n’hésite pas à faire sa cuisine dans ses pentures en rajoutant farine, levure, sel et huile.


De la musique avant toute chose
L’appel artistique ne tombe toutefois pas de nulle part. A 8 ans au conservatoire, elle découvre la clarinette, qu’elle avait choisie « à cause de sa ressemblance avec son propre nom », avoue-t-elle en riant. En à peine deux ans, elle maitrise son instrument avec une aisance qui étonne son professeur et qui lui confie bientôt des morceaux qu’il réserve habituellement aux élèves plus avancés. Mais à 16 ans, c’est le drame : une mononucléose infectieuse chronique l’empêche de gérer son souffle de manière satisfaisante, et elle doit arrêter ses cours. Elle garde cependant la passion de la musique et des notes, qu’elle réutilise dans son travail de peintre, à la suite de Kandisky qu’elle révère et qui comme elle disait être « obsédé par la relation entre la couleur, la matière et le son ». Sa santé continue à se détériorer et la pousse à se faire hospitaliser en maison spécialisée pendant plusieurs mois. « J’ai souffert d’insomnie pendant quatre longues années. C’était très douloureux. Pour éviter de broyer trop de noir, je peignais la nuit ». Son goût pour l’art-thérapie se développe. Les toiles de cette époque marquées par l’isolement et la douleur font donc office de catalyseurs et de panse-plaie.
Elles sont pourtant loin d’être sombres  et affichent une série de camaïeux variables selon une thématique chromatique. Clara se demande peu à peu comment intégrer la musique à sa peinture. Ayant réintégré le lycée, elle se dévoue corps et âme- mais sait-elle faire autrement ? pour obtenir son baccalauréat. Ce qu’elle réalise avec brio – mais sait-elle faire autrement ? Bac en poche, elle décide tout naturellement de partir étudier dans la ville du précurseur coloriste Cézanne et s’inscrit en licence d’Arts Plastiques. De ce pays qui inspire tant d’artistes étrangers, elle ne retient que la luminosité.
De la musique haute en couleur
A l’occasion d’un sujet d’étude, elle explore à 20 ans le concept d’art total. Travaillant toujours en musique, elle traduit une phrase de son maître russe en un langage doublement codé : du morse d’abord, puis par décomposition rythmique, une partition musicale. De ce processus laborieux naît Diagramme, qui lui fera accéder à la notoriété. Un collectionneur averti par la faculté des Sciences de l’Art d’Aix en Provence où étudie la jeune femme se prend de passion pour cette pièce et l’expose dans une galerie qu’il possède, et que visite quelques jours plus tard Rodrigo De Souza. Le chef d’orchestre de l’orchestre symphonique de New-Yorkais, connu pour sa spontanéité et son amour de Schoenberg, s’enflamme aussitôt et demande le nom de l’auteur du tableau qui se regarde en même temps qu’est diffusée la mélodie dont il est assorti. Celle qui n’est alors qu’étudiante se retrouve avec une commande de 5 autres œuvres du même gabarit que De Souza fait jouer à ses musiciens lors du concert du Nouvel An 2016. Le dispositif plaît et est depuis systématisé à la fin des concerts symphoniques de la Philharmonie de Paris.
« Je tire de mes blessures quelque chose qui transcende la réalité »
La lumière des projecteurs l’intéresse bien moins que celle de ses toiles et qu’elle peut « transmettre aux autres par l’art ». Elle garde ainsi à l’esprit la maladie qui a accompagné son adolescence et envisage de s’orienter vers l’Art Thérapie. Une récupération médicale qu’elle défend avec ardeur : « Il faut arrêter de rabaisser un art qui peut servir à faire du bien ! L’Art pour l’Art n’existe pas. Je peux aider des personnes blessées par la vie comme moi en leur montrant que j’en tire quelque chose qui me dépasse. »
Pour l’heure, Clara approfondit sa maîtrise des techniques plastiques en multipliant les projets. L’apprentissage continu passe également par des heures passées dans tous les musées qui croisent son chemin. « Chaque son, chaque couleur me renvoient à moi et à mes toiles », s’extasie-t-elle. Une expérience qu’elle approfondit à travers un visionnage assidu- « au moins un par semaine »- des biopics sur les grands peintres. « Je trouve dans chacun d’eux un peu de moi », confie-t-elle. Son préféré ? « Celui sur Pollock, parce que je me sens totalement en phase avec son ardeur et expression plastique abstraite ! »
Retour au son
A l’occasion du concours national organisé en septembre 2017 par le fabriquant de couleur Pébéo, sa toile Le Sublime remporte le premier prix face à plus de 1500 concurrents. Afin de répondre à ce thème si cher à Victor Hugo et ayant peu de goût pour la lecture, Clara puise l’inspiration dans les aquarelles et autres esquisses au lavi de l’écrivain. Bien lui a pris puisque celui-ci lui permet d’être exposée pendant un mois au Musée Pébéo de Marseille où une partie de son film a été tournée. Dans le milieu, on parle même de lui confier la confection de l’arrière-scène de la prochaine création de l’Opéra de Dijon. « C’est un beau projet, peut-être un peu grand pour moi, relativise-t-elle, évasive. Il sera question d’explorer le rapport plastique de l’hologramme avec un colorfield painting à la Russe, un truc a priori inédit. On verra !» Décidément, Clara Walch ne peut se fondre dans le décor, elle le crée.


Ophélie Faraud

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